Les 11 visages du jazz, épisode 7 Softly as the morning rise
Affiche de l'operette "The New Moon" (1927-1928)
En quelques notes, il est identifiable : un rythme qui claque, une mélodie reconnaissable ou à défaut, facile à retenir… Cet été, découvrez l'histoire de 11 standards incontournables du jazz. Aujourd'hui, épisode 7 : Softly as in a morning rise
Joué de façon cadencée, Softly, as in a Morning Sunrise reposait sur un rythme tango pour une opérette intitulée The New Moon. Composée en 1928 par le pianiste hongrois Sigmund Romberg et le parolier Oscar Hammerstein II, cette comédie musicale prit son envol à Broadway avant de connaître deux adaptations cinématographiques.
Initialement montée à l'Imperial Theater puis au Casino Theater de Broadway, la chanson est interprétée par Robert Halliday. Elle inspira en 1940 la comédie musicale The New Moon des réalisateurs Robert Z. Leonard et W.S. Van Dyke, avec Nelson Eddy et Jeannette MacDonald dans les rôles principaux. En 1954, Stanley Donen, réalisateur de Singin' in the Rain, tourne Deep in My Heart, où la mélodie de Softly, as in a Morning Sunrise est reprise à deux reprises, interprétée par Betty Wand et Helen Traubel.
Devenu rapidement un standard de jazz, le morceau compte aujourd'hui pas moins de quatre cent cinquante reprises. En 1938, dix ans après sa composition, le clarinettiste et chef d'orchestre Artie Shaw enregistre la première version instrumentale pour le label Bluebird. Largement radiodiffusée, cette interprétation a contribué à populariser ce standard au thème romantique.
En 1944, le label Decca sort à son tour une première version vocale, interprétée par Kenny Baker, qui nous paraît aujourd'hui quelque peu désuète.
Les versions chantées
1957 : Bing Crosby
La version du chanteur Bing Crosby accompagné de Buddy Cole au piano particulièrement chantant, se rapproche le plus de l’esprit d’une comédie musicale tout en étant plus moderne.
1958 : Helen Merrill
Parmi les chanteuses célèbres - dont Abbey Lincoln - l'interprétation d'Helen Merrill se distingue par son ton particulièrement vibrant. Les première et dernière strophes de la chanson sont traitées comme un souffle, évoquant une apparition pour le début du morceau avant de s'achever sur une disparition. Cette structure narrative suggère l'émergence de l'amour, puis sa prise de conscience : il disparaît aussi vite qu'il est apparu.
L'aspect mélancolique du thème, présent dans les extrémités du morceau, contraste avec le ton enjoué de la partie centrale. Ce jeu d'oppositions fait de Softly, as in a Morning Sunrise un air empreint d'une gaieté teintée de nostalgie.
Les versions instrumentales
1938 : Artie Shaw
La première version discographique, par l'orchestre du clarinettiste Artie Shaw en 1938, montre comment l'interprétation par un grand orchestre swing se prête particulièrement bien au morceau, au vu de sa rythmique qui repose sur un continuel balancement.
1955 : The Modern Jazz Quartet
Toujours sur ce même balancement, la délicatesse de l'interprétation donnée par le Modern Jazz Quartet apporte légèreté et bonne humeur. Le dialogue entre le vibraphoniste Milt Jackson et le pianiste John Lewis, tous deux accompagnés par la rythmique de la remarquable contrebasse de Percy Heath et du batteur Connie Kay, crée une dynamique particulièrement harmonieuse.
1958 : Sonny Clark
Softly as in a morning sunrise a été abondamment repris par les pianistes, par exemple Sonny Clark dans son album paru en 1958 Sonny Clark Trio aux côtés de Paul Chambers à la contrebasse et Phil Joe Jones à la batterie
1959 : Wynton Kelly
Toujours dans un style bop, le pianiste Wynton Kelly, accompagné lui aussi par la contrebasse de Paul Chambers dans son album Kelly blue sorti en 1959, reprend Softly as in a morning rise.
1962 : Ron Carter
Voici une version où la contrebasse et le saxophone prennent le dessus sur le piano. Le contrebassiste Ron Carter et le saxophoniste alto Eric Dolphy forment le duo mélodique, tandis que le pianiste Mal Waldron assure la rythmique avec le batteur Charles Persip, batteur de Dizzy Gillespie. Nous sommes en 1962, pour l'album Where?, premier album de Ron Carter en leader. Sa performance à la contrebasse rappelle que Carter était à l'origine un violoncelliste.
1979 : Chet Baker
En 1979, Chet Baker renoue avec la formule du duo piano-vibraphone initiée par le Modern Jazz Quartet dans ses albums Live in '64 et Live in '69. Son quartet comprend notamment le pianiste Michel Graillier et le vibraphoniste Wolfgang Lackerschmidt.
1992 : Stan Getz & Kenny Barron
Une autre version mêlant piano et instrument à vent est celle du duo formé par le saxophoniste ténor Stan Getz et le pianiste Kenny Barron, pour l'album People Time sorti en 1992.
Pour terminer sur une note dansante, voici une version mambo, toujours en vogue dans les années 1950 : celle de Billy May dans l'album Billy May's Naughty Operetta (1955).
Par Anne-Laure Chatelot, bibliothèques de la ville de Paris
les 11 standards à (re)découvrir cet été
Tout au long de l'été, vous pourrez découvrir au fur et à mesure des semaines tous les secrets derrière chacun des standards suivants :
- Épisode 1 : Autumn Leaves
- Épisode 2 : Cantaloupe Island
- Épisode 3 : Estate
- Épisode 4 : Minor Swing
- Épisode 5 : ’Round Midnight
- Épisode 6 : St. Louis Blues
- Épisode 7 : Softly, as in a Morning Sunrise
- Épisode 8 : Someday My Prince Will Come
- Épisode 9 : Stella by Starlight
- Épisode 10 : Take five
- Épisode 11 : The Girl from Ipanema